Il recèle plus de secrets dans une flaque boueuse de chemin forestier que l’on ne pourrait l’imaginer. La terre s’y uni à l’eau et à l’air, la lumière vient parfaire le travail, accomplissant là un processus initiatique de transformation. Nos ancêtres l’avaient compris et ces flaques furent certainement leurs premiers bains tinctoriaux (bains qui permettent la teinture), il y a quelques milliers d’années.Leur pouvoir teignant est grand grâce aux végétaux et minéraux venu s’y déposer s’y macérant avec vitalité, découvrant alors une nouvelle facette d’eux, insoupçonnable auparavant.
La terre, l’eau et l’air s’assemblent pour donner le signal de vie. Et chaque être vivant sera composé dans sa matière, de terre, d’eau et d’air, La lumière permettant aux éléments de donner la vie. Chaque vie est une copie à sa façon et dans sa différence, de notre planète en symbiose avec son soleil. Mère nature opère constamment une alchimie entre ses éléments, elle met en relation l’organique et l’inorganique à la façon d’un artiste qui sait intuitivement que chacun de ses gestes fera naître quelque chose. Fascinée par la nature et les phénomènes lumineux, j’ai entrepris un travail qui réunissait tous ces éléments d’une manière artistique.J’ai cherché les couleurs et les luminosités des beautés naturelles, retrouver les ciels radieux, le chatoiement d’une aile de papillon, la couleur des fleurs qui réfléchissent la lumière.J’ai cherché à les fixer sans que cela ressemble à une pâle imitation, extrayant les précieux pigments et unissant le liquide au solide. L’art de la teinture.
Cette flaque de boue m’a éclairé et j’ai cherché les secrets de son univers pour fabriquer mes couleurs. Combien de matière ai-je pu gaspiller en cherchant à contrôler, précipiter les processus, ma volonté d’imposer des façons de faire, pensant dans mon orgueil pouvoir gérer l’harmonie, dans cet art, cela ne compte pour rien, c’est même nocif et décevant. Il est des règles naturelles et universelles, dictant un mode opératoire qui sera chaque fois différent selon les matières et les saisons, elles m’imposeront des directions, que j’écouterais, afin de voir s’exprimer au mieux les couleurs et qu’elles soient amoureuses des fibres.
Si j’ai fait les bons choix des matières de base qui doivent s’ensemencer, se développer mutuellement, alors la beauté naîtra d’elle-même. Si le choix est juste les éléments s’uniront solidement. Du temps et des échecs juste pour comprendre que l’art ne réside qu’en cela, mettre les matières et les éléments ensemble d’une manière intelligente et sure, généreuse et délicate, patiente et amoureuse
Je dois la compréhension de sesphénomènes, entre autres, grâce à un petit végétal qui nous vient du début des temps. Un petit végétal qui ne pousse qu’en plein soleil, symbiose d’une algue et d’un champignon, un lichen « lassalia », appelé aussi « orseille ». Il est si insignifiant, de couleur terne et indéterminée, il passe tant inaperçu, que personne n’eut pu imaginer la beauté lumineuse dont il recèle. Manipulé dans un art précis, il transformera sa matière, avec grande abondance car son pouvoir tinctorial est d’une grande puissance, sa fixation sur les fibres étant naturellement forte, il offrira des tons pourpres violets d’une luminosité exceptionnelle. Sa couleur peut couvrir celles des autres en créant de nouvelles teintes, toujours avec cette luminosité particulière, des rouges pourpres, des cramoisis, des roux de feu, des violets sombres…
Pour moi, ce lichen est devenu un symbole important de la transmutation de la matière, du parcours de ce qui est sombre vers ce qui est lumineux. J’aimais déjà me recueillir sur les sites mégalithiques tels que Carnac et autres sites rocheux légendaires et antiques très ensoleillés, mais là, avec la présence de cette orseille sur tous les menhirs et dolmens, là, j’y découvre encore une autre dimension tant symbolique qu’historique. Ils font se rejoindre les temps. Sans doute que nous avons été nombreux depuis des millénaires à venir prélever sur les granits ce petit végétal.