III-Applications utiles Resterait à voir maintenant si ces premiers résultats, tout incomplets qu'ils sont, pourraient déjà présenter quelques applications utiles à la fabrication de l'orseille; c'est ce que nous allons examiner dans les paragraphes suivants. Nous avons dit précédemment que la fabrication de l'orseille était livrée à l'empirisme, du moins à en juger par ce qui a été publié. En effet, le procédé le plus généralement suivi est encore celui qui a été décrit par M. Cocq. Il est cependant vrai de dire que depuis quelques années plusieurs fabricants paraissent avoir mis à profit les utiles conseils que cet habile observateur a donnés dans son intéressant Mémoire, et notamment celui de substituer l'ammoniaque à l'urine. Il est bien probable que Mlle. Bourget de Lyon, et que M. Huilard de Paris , doivent principalement cette substitution l'amélioration notable que présentent les produits de leurs fabrications.Il est bien évident, par ce que nous avons dit de la nature et des propriétés de l'orcéine , qu'il s'agitpour développer cette matière colorante des lichens, non seulement de la débarrasser de ces espèces de matières grasses ou résinoïdes qui forment comme un vernis à la surface du végétal en s'opposant à sa perméabilité , mais encore de la soumettre à l'influence successive de l'alcali et de l'air. Or, que fait-on, dans l'ancienne méthode, pour arriver à ce but ? On mélange d'abord, nous dit M. Cocq, les lichens avec de l’urine, on brasse le mélange de trois heures en trois heures, et pendant l'intervalle on a le soin de clore exactement les auges. Après trois jours de réaction, on ajoute, avec les précautions qu'exigent de pareilles matières, de la chaux, de l'oxyde d'arsenic et de l'alun , puis on recommence à brasser; mais à des intervalles plus rapprochés, et si la température régnante détermine une prompte et vive réaction, on doit brasser tous les quarts d'heure environ, afin de briser une espèce de croûte qui se forme à la surface, enveloppe toute la masse , et qui, en s'épaississant, finirait par faire obstacle au progrès de l'opération. -Importance des ingrédients Il paraît probable, d'après tout ce que nous savons maintenant, que, parmi ces ingrédients, il y en a qui sont nuisibles, et d'autres d'une utilité très secondaire. Il est évident que la chaux, par exemple, ne sert là qu'à développer l'ammoniaque; et comme on en met nécessairement un grand excès, cet excès ne peut manquer de devenir préjudiciable. D'un autre côté, l'alun se trouve décomposé par l'alcali de l'urine qui met à nu de l'alumine; il en résulte que ces deux substances terreuses viennent non-seulement augmenter sans nécessité le poids de l'orseille, mais qu'elles absorbent, en outre, une quantité notable de matière colorante qui se trouve employée en pure perte. Tous ces inconvénients disparaissent par la substitution de l'ammoniaque à l'urine; substitution qui dispense peut-être de l'emploi de la chaux, et probablement aussi de celui de l'alun et de l'arsenic. Ces deux derniers ne nous paraissent destinés, en effet, qu'à palier aux inconvénients que fait naître l'urine elle-même. Cette liqueur excrémentielle contient, comme on sait, des substances azotées putrescibles , et qui finiraient par entraîner dans leur décomposition toute la matière organique végétale , si on n'y apportait obstacle; et c'est là , selon nous, le véritable rôle que joue l'oxyde d'arsenic et une partie de l'alun; encore est-il que ces substances ne préservent pas toujours suffisamment de la putréfaction; car on est souvent obligé, pour la prévenir ou l'arrêter, d'ajouter à l'orseille préparée un peu d'oxyde rouge de mercure, qui jouit, comme on sait, de cette propriété antiputride à un degré encore plus marqué. - L'ammoniaque peut-elle à elle seule remplacer tous ces ingrédients? Je ne suis point en position de l'affirmer; mais j'en suis à peu près convaincu, et voici sur quoi je me fonde. J'ai fait macérer une certaine quantité de variolaire dans de l'ammoniaque étendue , et j'ai obtenu , après plusieurs jours de contact, une très-belle teinture cramoisie; mais, il faut l'avouer, je n'ai pas également bien réussi en exposant du lichen humecté à la vapeur de l'alcali volatil ; je n'ai obtenu, par ce moyen, comme cela arrive avec la matière sucrée elle-même, qu'un rouge brun , et il m'a été impossible de faire changer cet état de choses par une dessiccation ménagée. Néanmoins je suis persuadé que mon peu de succès dépend uniquement d'une mauvaise manière de faire, et je suis d'autant plus porté à le croire, que je sais positivement que ceux qui préparent l'orseille par l'ammoniaque n'obtiennent pas toujours le même succès dans leurs opérations. Je sais aussi qu'ils attribuent ces anomalies à la qualité de l'ammoniaque; mais il est bien plus probable qu'elles dépendent de quelques circonstances dont l'influence n'a point été suffisamment appréciée par eux. Pour offrir un exemple de ces anomalies, je dirai que dans le même temps où du lichen, mis en macération avec de l'eau alcalisée, me fournissait une riche teinture cramoisie, je n’obtenais, dans une semblable expérience faite avec les mêmes matériaux, qu'une liqueur d'un rouge brun foncé, sans que je puisse reconnaître à quelle cause attribuer cette différence. J'ai remarqué seulement que le vase qui contenait cette dernière macération était mieux bouché que l’autre, et que la proportion du liquide qui recouvrait le lichen était plus considérable. Il est d'ailleurs très certain, comme je l'ai déjà observé, que l'air joue un grand rôle dans cette opération, et que, sans son intervention, l'orcine ne peut acquérir de couleur. Ainsi, d'une part, on est obligé d'agir en vases clos, car sans cela l'ammoniaque se dissiperait dans l'air et ne réagirait pas sur le lichen ; et de l'autre, il est indispensable de donner de temps à autre accès à l'air pour qu'il puisse réagir à son tour sur la matière colorante une fois qu'elle a été modifiée par l'alcali, et il y a probablement dans ces influences successives une juste mesure à observer qui fait le point de difficulté, et le tour de main du fabricant. Ce qui autorise à croire que ce qu'on nomme actuellement orseille de terre épurée ou orseille violette, qu'on livre à l'état sec et pulvérulent, et dont les produits en teinture équivalent, dit-on , à ceux fournis par l'orseille des Canaries, n'est préparée qu'à l'aide de l'ammoniaque seule, c'est qu'elle ne contient aucun sel déliquescent, comme cela a lieu nécessairement lorsqu'on emploie de l'urine et de la chaux, et qu'elle ne paraît contenir aucune substance putrescible, puisqu'elle se conserve sans altération et sans odeur désagréable. -Conclusion Je pense donc, en résumé, que pour extraire convenablement la matière colorante des lichens de l'orseille, c'est-à-dire, pour l'exhumer en quelque sorte des matières grasses ou résinoïdes dont elle se trouve enveloppée, il faut le concours simultané de l'eau, de l'air et de l'ammoniaque. Ce dernier agent ne sert pas seulement à colorer l'orcine, mais il a en outre pour fonction de saponifier, pour ainsi dire, l'espèce d'enduit qui revêt le lichen et le rend imperméable. Dans cette opération, il ne se manifeste, à mon avis, aucune espèce de fermentation comme on le prétendait, et tout se borne à une réaction des divers agents que nous avons indiqués; réaction qui est naturellement plus prononcée et plus prompte lorsque la température atmosphérique est plus élevée. Commentaires :
Nous voyons que le procédé de fabrication de l'orseille est relativement simple. Il faut éliminer les graviers, utiliser de l'ammoniaque, et bien oxygéner le mélange trois à quatre fois par jour, surtout au début. La durée de formation de l'orseille est variable, de 3 à 16 semaines, selon le lichen utilisé. Par contre l'identification de la parelle ou plutôt des parelles n'est pas évidente. C'est ce que nous verrons en examinant plus en détail les textes précédents. Pour faciliter la lecture, nous avons condensé et réorganisé les extraits qui sont utilisés. Pour ce qui concerne l'identification des lichens et des tests de teintures, ce travail n'est pas terminé. Il ne pourra l'être qu'après l'expo. Mais dors et déjà on peut faire un certain nombre de constatation. La parelle qui donne l'orseille de la plus belle qualité est vraisemblablement Pertusaria dealbata. Ce qu'en dit Cocq Notre parelle est Variolaria orcina, c'est une variolaire d'Acharius analogue au : - chagrin = pertusaria aspergila pour variolaria aspergilla et à - pertusaria lactea pour variolaria lactea de Linné. Il ajoute : « Les ouvriers assurent que cette variété fournit une couleur plus vive; mais elle est rare dans ce pays-ci, ses couches sont minces, son accroissement est lent et sa production tardive ». Ce qui corrobore ce qu'en dit Robiquet « des fabricants d'orseille de Lyon qui la font récolter, chaque année, sur les rochers des Pyrénées, par des ouvriers qu'ils envoient exprès du Cantal ». Ce qui signifie que : - les ouvriers Cantalous ont une bonne connaissance de ce lichen - Qu'il est rare en Auvergne sinon il ne serait pas nécessaire d'aller dans les Pyrénées. Ce qu’ 'en dit Robiquet : « On vient de voir que l'orseille d'Auvergne est principalement composée de variolaires, et je dois dire ici que le lichen qui m'a été envoyé par M. Codère, et qu'il regarde comme le plus avantageux pour la fabrication de l'orseille, est encore une variolaire, c'est la variolaria dealbata de Dec. fl. fr., lichen dealbatus Acharius, ainsi que cela a été positivement constaté par mon collègue M. le professeur Clarion. On peu donc penser que cette parelle que Robiquet a examiné comme étant celle, ou l'équivalent de celle, qui était récoltée dans les Pyrénées serait donc bien Pertusaria dealbata. On ne trouve pas ce lichen dans la nomenclature actuelle si ce n’est pertusatia albecens Mais si ce lichen est rare et qu'il faille aller le chercher dans les Pyrénées, Alors, avec quoi fait-on l'orseille en Auvergne ? Ochrolechia tartarea est une des parelles d'Auvergne. Sans l'écarter, ce n'est pas tout à fait ce que nous dit Westring. Il nous dit la parelle qu'il a identifiée est un mélange de trois lichens. Ces lichens sont : Diploschistes scruposus, ochrolechia tartarea et en grande majorité pertusaria Lactea. Pour Cocq, la pommelée est le véritable lichen parellus de Linné, et ce qu'il y a de fort remarquable, c'est que ce lichen parellus n'est justement pas la parelle d'Auvergne; bien loin de l'employer on la rejette de la teinture. Il est bon d'avertir les botanistes de cette erreur de nom. La veritable parelle est ochrolechia tartarea selon Carl Von Linné, A.Massal; Lecanora tartarea selon Arch. Connu pour donner de l'orseille, nous retrouvons ce lichen cité de nombreuses fois dans la littérature. Il fût utilisé par les viking*, il entrait aussi dans la composition du célèbre Cudbear, et du bleu de tournesol. Lassalia pustulata est un lichen à orseille. Très commun sur les rochers granitiques du massif Central il entrait dans la composition du cudbear. Facile à récolter, ne prêtant pas à confusion, ce lichen n'est pas mentionné comme étant de la parelle. Par contre, comme il entrait dans la fabrication du cudbear on trouve des textes qui signalent sa provenance d'Auvergne et d'autres pays. Il a l'inconvénient d'augmenter le temps de fabrication de l'orseille. Il faut compter 16 semaines alors qu'il en faut 3 avec ochrolechia tartarea. Pertusaria lactea est un lichen à orseille. Pour Westring, c'est le plus important dans le mélange des trois lichens. On peut s'en étonner, car dans la littérature, il est souvent fait mention du lichen tartarea, et quasiment pas du lichen lactea. On peut écarter l'erreur de traduction en reprenant le texte original de Westring. « Herr Lasieiry in Paris mir die die Flechte, welche in Auvergne zur rothen Farbe gesammelt wird, und ich sand das es eine Mischung von mehreren Schorfstechten war, von L. scruposus, tartareus und am meisten von lacteus ». qui confirme que lactea est majoritaire. Il ne peut pas y avoir de confusion d'identification au niveau de la famille de ces lichens. Le centre des apothécies de Diploschistes scruposus est noir, le centre des apothécies d'ochrolechia tartarea est orangé, et pertusaria Lactea n'a pas d'apothécies. La seule confusion permise est une confusion dans le genre, avec un autre pertusia. Ça ne correspond pas à ce qu'en dit Cocq. « La parelle fournit une couleur rouge superbe, tandis qu'on en tire peu ou point de pertusaria aspergila et de pertusaria lactea ». Sous réserve que mon identification de pertusaria lactea soit bonne, j'ai obtenu avec ce lichen une belle orseille. Sur le terrain, ce lichen se voit de loin. Sur les rochers, il fait une plaque blanche très lumineuse. Ce blanc comparé à une feuille de papier est un gris moyen très lumineux. Les tests aux réactifs correspondent au genre. Diploschiste scruposus reste à confirmer comme étant un lichen donnant de l'orseille. C'est un bon candidat, mais de second ordre. Sa présence a été signalée par Cocq, mais il ne parle pas de la couleur qu'il a obtenue. Aiken 1970, a obtenu du rouge. Je n'ai pas fait d'essais Ochrolechia parella ne serait pas un lichen à orseille. Ce qui semble acréditer les observations de Cocq :« ce qu'il y a de fort remarquable, c'est que ce lichen parellus n'est justement pas la parelle d'Auvergne; bien loin de l'employer on la rejette de la teinture. Il est bon d'avertir les botanistes de cette erreur de nom. Toutes ces confusions ne doivent pas nous étonner. En effet, ce n'est qu'en 1867, que l'arrivé de microscope performants a permis de mettre en évidence la symbiose d'algue et de champignon dans la constitution des lichens. Les réactifs chimiques n'étaient pas utilisés pour aider à l'identification. Aujourd'hui ces moyens existent, mais les confusions n'ont pas disparue. Un exemple Concernant ochrolechia parella. Karen Diadick Casselman, une grande spécialiste des teintures à base de lichens, dans son livre « Lichen Dyes » signale les résultats obtenus par plusieurs personnes. Rouge vineux par Goowin, prune par Simmons, pinck fuchsia par Amledal, bleu pourpre par elle même, rouge par Mitchel, violet rouge par Hoiland, rouge violet par Sandberg, pourpre par Wickens. Pour sa part Dominique Cardon cite Su Grierson dans son livre « le monde des teintures naturelles » p392, ««Les expériences récentes de préparation d'orseille avec les lichens de cette espèce dûment identifiés, par Su Grierson, ont donné une couleur pâle gris rosâtre » et elle ne l'inclus pas dans son ouvrage sur les teintures traditionnelles écossaises pour « couper court à l'idée reçu que c'est un lichen utile en teinture»». *Lecanora tartarea was probably the Viking dye-moss (Old Norse: lit-mosi from litr "dye" + mosi "moss") from which the English word litmus derives because it is commonly found in Norway and Sweden
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Jacques LavedrineDepuis la nuit des temps, les teintures naturelles sont inséparables de notre histoire. Cette histoire commune, commença sans doute, quand pour la première fois, par esthétisme ou par superstition, l'homme se frotta du suc colorant d'une baie, ou d'une terre pigmentée. Il teinta les objets qui l'entouraient, le bois, la pierre, l'os, et peu à peu il maîtrisa les techniques de teintures. Ces savoirs et savoir faire, parfois secrets, qui disparaissaient, au grès des conflits et des épidé- mies, étaient redécouverts quelques siècles plus tard. Jusqu'à la fin du XIX° siècle, toutes les teintures, utilisées de par le monde, étaient d'origine naturelles et c'est à partir de 1870, que la découverte des teintures chimiques de synthèse porta un coup fatal aux teintures naturelles. La parelle d'Auvergne et la maurelle ne furent pas épargnées, et tombèrent dans l'oubli.
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